
Education sexuelle. Le sujet est encore tabou dans bien de familles. Pourtant, aborder la question peut éviter des expériences malheureuses.
Dans des familles camerounaises, l’éducation sexuelle des enfants reste un sujet très sensible. Plusieurs parents redoutent le moment où ils devront discuter de comment « on fait les bébés » avec leurs enfants.
Maurice Mename, père célibataire de deux adolescentes âgées de 12 et 14 ans, pense que ses filles sont encore trop jeunes pour les entretenir sur la sexualité. « Ce n’est pas facile pour un homme de parler de ce genre de chose avec ses enfants, des filles en plus. Si déjà pour leurs menstrues, j’ai eu tout le mal du monde à leur expliquer, parler de sexe, c’est trop me demander. Leur expliquer comment on fait l’amour, leur corps et tout le reste, c’est au-dessus de mes moyens. La première fois, c’est ma voisine qui m’a aidé, je crois que je vais encore l’appeler au secours lorsque le besoin se fera sentir», avoue le papa.
Paulin et Olive Mbatcha, parents de quatre enfants, dont un garçon de 14 ans et une fille de 17 ans, estiment que parler de sexualité aux enfants peut au contraire les traumatiser. « Il faudra leur parler des maladies liées à la sexualité, des risques de grossesse. Autant de choses qui pourraient les bloquer psychiquement dans leur développement sexuel. Il faudra même leur parler de Sida. C’est encore trop tôt pour nous. On leur parlera de cela un jour ou l’autre, mais pas maintenant », s’excuse Paulin Mbatcha.
D’autres personnes, comme Véronique Nkoa, mère célibataire de trois fillettes de moins de 11 ans, ont trouvé une solution pour contourner cette barrière. Elle a inscrit ses enfants à l’association des jeunes de la paroisse catholique qu’elle fréquente, pour qu’ils aient, tout au long de leur croissance, la meilleure éducation possible. A l’église, on leur parle de leur corps, des différentes relations entre les hommes et les femmes. Léon Marcellin Noah Noah, curé de la paroisse St Joseph d’Emana, explique que « l’Eglise a prévu des enseignements pour permettre aux enfants et aux adolescents de ne pas se perdre sur le chemin de leur croissance. Aussi, des groupes d’éducation, d’écoute et conseils ont été créés dans certaines chapelles. Nous leur apprenons à découvrir leur corps, à le connaître, à l’honorer, parce qu’il est le temple du Seigneur. Nous leur conseillons aussi l’abstinence sexuelle hors mariage pour ne pas tomber dans les pièges de la vie. Il faut savoir que mal conseillés ou pas du tout, les enfants se retrouvent souvent à faire des expériences par curiosité. D’où les cas de grossesse de filles de moins de 18 ans que l’on rencontre dans les familles. Et ça, c’est le moindre mal : les plus malchanceux se retrouvent souvent porteurs de maladies comme le Sida».
Pour ses enfants, Salim Alilou a trouvé une astuce « Dans la famille, ce genre de discussion, les filles l’ont avec leur mère. C’est elle qui leur parle de leur corps, comment en prendre soin, comment se comporter face à un garçon, etc. Moi, je discute avec les garçons. C’est plus facile lorsque chacun de nous s’entretient avec un enfant du même sexe que lui : quand vous expliquez, vous avez les meilleurs mots pour lui faire comprendre le message que vous voulez faire passer, puisque vous lui parlez en quelque sorte de vous à son âge. Il est vrai que je ne vais pas jusqu’à leur dire comment il faut faire la chose, non, mais je leur explique plutôt à quel âge ils doivent le faire. 21 ans, quand ils sont déjà majeurs, c’est mieux. Mais il faut aussi leur expliquer les méthodes de protection pour les mettre à l’abri d’une maladie. Dans les assemblées des femmes et des hommes, les jeunes sont aussi éduqués pour leur entrée dans la vie d’adulte. Le sexe, la vie en société, le respect du corps de l’autre sont des points qui sont abordés ».
C’est clair, à chacun son approche. Mais, avec la prolifération des chaînes de télévision étrangères qui a favorisé l’émancipation des enfants, les appréhensions de beaucoup de parents sont devenues dérisoires. Ce qu’ils ne soupçonnaient même pas est devenu réalité à leur insu. « J’ai été surpris de découvrir que ma fille a un petit-ami. Elle n’a que 18 ans. Je ne veux même pas imaginer ce qu’ils ont déjà pu faire ou font tous les deux. Sa mère m’a confié qu’elle a trouvé des préservatifs dans son sac. Pour moi ce n’est encore qu’une enfant. C’est difficile à concevoir », affirme Gervais Monebene, un parent. « Lorsque des films d’amour passent à la télévision, c’est moi qui suis plutôt gêné lorsque des scènes d’amour ou de baiser sont projetées. Eux, ils n’ont aucun problème. J’évite même d’avoir des gestes doux envers mon épouse devant eux. En fait, c’est moi qui suis devenu l’enfant devant eux », ajoute Gervais.
L’expérience des aïeux
Selon le Dr Célestin Ngoura, anthropologue et enseignant à l’université de Yaoundé I, aujourd’hui les parents n’assument plus leur rôle. Tout cela résulte du fait qu’ils se sont détournés de leurs traditions, trop absorbés par la société moderne. D’après lui, avant, tout était défini au sein de la société traditionnelle pour que l’éducation des enfants soit de qualité, gage pour en faire de bons membres. Elle passait par des étapes précises. « Dans toutes les sociétés traditionnelles africaines, quatre étapes étaient arrêtées : de l’accouchement au sevrage de l’enfant, du sevrage à la chute des premières dents, puis l’apparition des signes de puberté. Enfin l’entrée dans la phase adulte. Donc pour le négro-africain, les sociétés traditionnelles camerounaises, la chute de la dent marquait le début de l’adolescence. L’éducation était alors renforcée et l’éducation sexuelle de l’enfant entrait alors en compte. Ce ne sont pas les parents qui le faisaient. Parler de sexe entre parents et enfants a toujours été un sujet tabou. C’est le cas par exemple chez les Voutés dans les localités de Ntui, Mbandjock ».
Le Dr Ngoura ajoute que « c’est pourquoi les parents orientaient toujours leur progéniture vers la sœur du père ou vers la grand-mère ou une femme âgée, qui leur expliquerait tout cela. Ainsi, celle-ci commençait à sensibiliser la fillette dès la chute de sa première dent en lui disant qu’elle grandit et qu’un de ces jours, elle aura une perte de sang sans blessure. Pour le garçon, c’était l’apparition des premières sécrétions de sperme au cours de la nuit. Mais, tout commençait véritablement pour le garçon avec la circoncision. Chez les filles, c’était l’apparition des règles et des seins. Les garçons étaient ensuite emmenés en forêt par un ancien bien initié, pour une durée de six mois. Là-bas, ils découvraient leur corps, les spécificités du corps des hommes, différent de celui des femmes. Il leur était également enseigné comment les bébés sont faits. Pour les filles qui restaient au village, ce sont ces femmes âgées qui faisaient leur enseignement. Comment se laver, quand faire l’amour avec un homme, comment concevoir, le respect de son corps ».
Tout cela concourait à la formation d’un être équilibré, utile à la société parce que, plus tard, lui aussi aurait la responsabilité de transmettre les savoirs aux jeunes générations. Bref, la société traditionnelle apprenait le savoir-être et le savoir-faire. « La société moderne nous a éloigné de nos traditions, a dilué nos fondements culturels, et l’ouverture sans réserves aux cultures étrangères, qui montrent une autre manière d’être et de faire, a tout chamboulé », soutient Célestin Ngoura. « Il est important que les Camerounais retournent à leurs valeurs, à leurs cultures et traditions. Nos cultures ont intégré tous ces pièges pour éviter aux enfants de faire des choses avant le moment. C’est parce que nous avons tourné le dos à tout cela que notre société va mal. Les fillettes qui couchent avec des garçons avant l’âge, les habillements osés et autres déviances sexuelles. Les parents doivent reprendre leur rôle d’éducateur. Ils croient qu’en repoussant sans cesse cette responsabilité, ils résoudront le problème. Au contraire, ils aggravent la situation, parce que les enfants découvriront tout, tôt ou tard. Et ils le découvriront mal surtout», pense-t-il.
Muriel Edjo